André Combes, Commune de Paris (mars-mai 1871) la franc-maçonnerie déchirée, préface de Jean-Robert Ragache, Editions Dervy, coll. Sparsa Colligo, Paris, 2014, 256 p., 24 Euros. Ce livre est disponible chez Amazon ou à la Cale Sèche
Depuis quelques années la manifestation maçonnique d’hommage à la Commune, le 1er mai devant le mur des Fédérés, a pris une dimension de plus en plus institutionnelle. Des esprits espiègles se plaisant, à l’inverse, à rappeler la position officielle des obédiences en 1871… pour le moins critique vis-à-vis des communards ! En effet, tout un courant du Parti Républicain – pour faire court les « Jules » fondateurs de la IIIe République – craignait que, comme en 1830, comme en 1848, l’insurrection parisienne n’effraie la province et pousse le pays dans les bras de la réaction. L’ouvrage d’André Combes nous invite à revisiter cet épisode fondateur du mouvement ouvrier et à aller au-delà du mythe pour explorer la réalité historique des liens entre la Maçonnerie et la Commune.
Plus qu’un projet politique, la Commune est d’abord une réaction. Réaction du peuple de Paris qui ne comprend pas la capitulation alors qu’il a résisté courageusement à un dur siège de 4 mois des Prussiens, crainte des classes populaires de l’Est parisien de se faire – une fois de plus – voler la République et « la Sociale » par l’Assemblée nationale hâtivement élue où les conservateurs dominent. La revendication « communale » du Paris populaire, au début en tout cas, c’est moins la contestation du gouvernement de Thiers qu’une demande de « garanties ». La fin de non-recevoir de Thiers et la brutalité de sa réponse conduiront les Parisiens à proclamer « la Commune de Paris » et à instituer un gouvernement qui, pour beaucoup des communards, se voulait un pouvoir révolutionnaire à vocation nationale.
Les liens entre Commune et franc-maçonnerie s’explique d’abord par ces 2 mots : République et Peuple. André Combe nous propose un chapitre passionnant où il retrace le cheminement des idéaux républicains dans les loges entre 1789 et 1870. 1848 a marqué indéniablement le temps fort où beaucoup de loges et de Frères ont considéré que la République était le régime le plus conforme aux idéaux maçonniques. L’auteur montre aussi que, si le Grand Orient et le Suprême Conseil continuent à être dirigés par des notables, les classes populaires sont très présentes en Loge où elles constituent le quart de l’effectif, notamment dans le Paris industrieux des années 1860. La Maçonnerie est impliquée dans la Commune parce qu’elle est liée au « petit peuple de Paris » et parce qu’elle se considère déjà comme ayant son mot à dire sur la question de la République. 18 mars-28 mai 1871, moins que « les cent jours » de Napoléon ! Dans ces 250 pages André Combes retrace, presque jour par jour, mais c’est passionnant car il arrive à nous faire revivre les enjeux et l’enchaînement des événements, la participation des Maçons et des Loges à l’aventure de la Commune. Les Maçons sont d’abord des conciliateurs qui, au nom de leurs idéaux humanitaires, n’admettent pas la guerre civile et la division des républicains. Les Loges parisiennes multiplieront les démarches pour essayer de désamorcer l’escalade et de trouver un terrain d’entente entre le gouvernement légal de Versailles et Paris. L’aboutissement – malheureusement purement symbolique – en sera la grandiose manifestation du 29 avril et le déploiement des bannières sur la ligne de front. André Combes montre qu’au delà des symboles, l’action maçonnique n’est pas un aspect marginal de l’histoire de la Commune mais, pour des raisons qu’il explique fort bien, une vraie dimension de ces semaines tragiques. Quand, après tous les échecs de conciliation, les Loges parisiennes se rallient à la Commune, la franc-maçonnerie apparaît comme la seule institution « traditionnelle » et ancienne à soutenir le pouvoir des « Fédérés ». Si les Maçons se sont finalement divisés face à la Commune, les Loges de province restant dans leur grande majorité fidèles au courant modéré du parti républicain, en revanche la Maçonnerie sera – presque – unanime à condamner la terrible répression versaillaise et à réclamer l’amnistie. L’ouvrage se conclue par des chapitres fourmillant d’informations nouvelles sur les Loges de réfugiés politiques à Londres, à Genève, à New York et à Buenos Aires.
Disons le d’emblée, il s’agit là d’un maître livre et d’un ouvrage de référence. On sent que l’auteur a une profonde connaissance de son sujet et de ses sources. On a parfois l’impression qu’il connaît de longue date les personnages ou les Loges qu’il nous présente ! Ces pages se lisent comme un roman. Ceux qui défilent sauront mieux pourquoi et à quoi ils rendent hommage, ceux qui ne défilent pas pourront comprendre pourquoi on peut légitimement vouloir honorer la mémoire de la Maçonnerie communarde.
André Combes,
Commune de Paris (mars-mai 1871) la franc-maçonnerie déchirée, préface de Jean-Robert Ragache, Editions Dervy, coll. Sparsa Colligo, Paris, 2014, 256 p., 24 Euros
Recensie van
Pierre Mollier